L’araméen : puiser aux sources de Jésus-Christ pour nous préparer à la transition

L’araméen : puiser aux sources de Jésus-Christ pour nous préparer à la transition

Depuis une dizaine d’années, mon chemin avec les Danses de la Paix Universelle m’a fait croiser celui des pratiques araméennes1. Il s’agit d’une manière de se laisser atteindre et transformer par l’énergie de Jésus-Christ en travaillant certaines de ses paroles dans sa langue de naissance.

Cette approche peut être assez surprenante pour nous qui utilisons très peu la langue de Jésus/Yeshua2. Pourtant, la Vetus Syra, une version des évangiles proche de l’araméen, aurait déjà été finalisée vers l’an 170, parallèlement à la version grecque, voire avant celle-ci. Et tout porte à croire que la tradition orale très vivace à l’époque ait permis de transmettre de manière assez authentique les paroles originales de Jésus.

Malheureusement, cette tradition orale a été complètement oubliée pendant près de 17 siècles au profit de versions dans des langues, d’abord le grec et le latin, plus proches de nos représentations mentales occidentales.  L’avantage a été que le message de Jésus-Christ, la « Bonne Nouvelle » d’après la signification du mot « Evangile », a pu se répandre à travers les siècles dans le monde entier.  Mais nous découvrons maintenant que cela s’est accompagné dans l’histoire du christianisme par un appauvrissement considérable – voire parfois un détournement ! – du sens du message originel.  Parallèlement, à cela, il y eu un renforcement du dogmatisme, par lequel des théologiens accrédités disaient ce qu’il faut croire, pendant que le clergé établissait des liens contre nature avec les pouvoirs politiques en place.  Nous connaissons les conséquences désastreuses des dérives qui en ont résulté et nombreux de nos contemporains estiment que les Eglises se sont dès lors définitivement discréditées.

Heureusement, il y a actuellement une prise de conscience, aussi au sein de l’Eglise, de la nécessité de revenir au message originel de Jésus-Christ.  Ainsi, le Pape François déclare dans sa fameuse encyclique sur la sauvegarde de la création que les religions peuvent mieux répondre aux défis actuels en retournant à leurs sources (Laudato Si, 200).  Mais ce chantier est considérable, et s’avère confrontant.  Ainsi par exemple la notion de péché originel, développée dans les premiers siècles de l’Eglise, repose en réalité sur des traductions erronées de textes de la Genèse3. Le péché originel consistait à affirmer que tous les humains sont coresponsables de la faute d’Adam et doivent donc en conséquence accepter les souffrances qu’ils subissent.  L’effet de cette croyance a été d’amener les gens à accepter les oppressions et les différences sociales dans l’espoir du paradis après la mort… et de permettre à l’Eglise de pouvoir mener des guerres.

Mais revenons aux pratiques araméennes : elles se sont développées dans le cadre des Danses de la Paix Universelle sous l’impulsion de leur fondateur, Samuel L. Lewis.  Peu de temps avant son décès en 1971, il émit le souhait de composer des danses basées sur les huit phrases du Notre-Père dans la langue de Jésus. Il pensait que l’utilisation de l’araméen, lié aux racines sémitiques des juifs et des arabes, serait une contribution à la paix au Proche-Orient. Ce sera Neil Douglas-Klotz qui s’attelera à cette tâche qu’il a poursuivie avec les Béatitudes et d’autres paroles de Jésus, particulièrement ses phrase « Je suis… » dans l’Evangile de Jean.

Les recherches sur les racines sémitiques4 et sur la prononciation en araméen antique ont mis en évidence que :

  • l’araméen ne fait pas de distinction claire entre la qualité intérieure et l’action extérieure. Par exemple, le royaume des cieux est autant en nous qu’au milieu de nous.

  • comme pour toutes les langues sémitiques, une même formulation en araméen peut avoir de nombreuses couches de significations différentes. Aussi, il était d’usage d’associer des racines phonétiques et des mots de manière à toucher ses auditeurs.

  • comme dans toutes les langues ancestrales, la sonorité des mots est fortement liée aux perceptions de la nature par les sens, ce qui établit une résonance entre les aspects spirituels et le ressenti corporel.

Ainsi par exemple, la première phrase du Notre-Père se dit en araméen « Abwoon d’bashmaya ». Le mot « Abwoon » fait référence à une présence qui, à partir d’une potentialité, par la communication d’un souffle, donne naissance à une vibration transformante. « shmaya » signifie que cette vibration peut atteindre l’univers entier. La phrase complète pourrait donc vouloir dire : « O toi présence créatrice universelle à l’œuvre en ce moment en moi comme en toute chose, tu rayonnes dans l’univers entier. »  Nous sommes donc bien loin de toutes les traductions habituelles dont celle en français : « Notre Père qui est aux cieux ».

Les pratiques araméennes se basent sur l’appropriation des paroles de Jésus/Yeshua non seulement par notre intellect, mais surtout par le coeur.  C’est pour cela lors de ces pratiques, nous prenons des moments pour chanter les phrases, les danser, et aussi les répéter intérieurement dans le rythme de la respiration.  Par exemple, on peut dire intérieurement « Abwoon » sur l’inspir, puis « d’bashmaya » sur l’expir, et ainsi de suite.  On observe alors l’évolution de la qualité de la respiration dans une démarche de pleine conscience.  L’effet est une intériorisation des paroles pour aller vers une relation intérieure avec l’énergie ou la présence de Jésus/Yeshua, et une action de transformation/guérison de nos couches profondes.  Ces techniques nous viennent du fond des âges et plus particulièrement du Proche-Orient, et sont particulièrement utilisées actuellement par les soufis.

En conclusion, les pratiques araméennes amènent donc à une compréhension plus profonde du message de Jésus en nous engageant sur un chemin de transition intérieure.  Cette transition s’effectue à dans quatre types de reliance5 :

  • La reliance à soi : par une prise de conscience de son propre corps comme temple, où nous sommes invités à accueillir les émotions, les tensions, les parties exilées de nous-mêmes…

  • La reliance aux autres : en nous ouvrant à l’amour inconditionnel de la présence créatrice universelle (peut importe comment nous la nommons), nous prenons conscience de notre propre place en harmonie avec celle des autres.

  • La reliance à la nature : en développant un sentiment de fraternité et de gratitude pour tous les vivants, et à travers eux pour toutes les choses créées.

  • La reliance à plus grand que soi : par l’accueil de la présence créatrice universelle.

Philippe Godts

1 Cet article est la version complète d’un article paru dans le bulletin « Clerlande Info » du mois de mars 2025.

2 Notons qu’il y en a quand même quelques traces sporadiques dans les évangiles (Mc 5, 41 : « Talitha quwmy » ; Mc 7,34 : « Etphatha » ; Mc 15, 34 : « Eloï, Eloï, lema sabachthani »), où l’évangéliste a probablement voulu nous associer à certaines émotions fortes de Jésus.

3 Comme l’a montré la théologienne orthodoxe française Annick de Souzenelle dans ses travaux à la fin du Siècle dernier.

4 Notons aussi les travaux de l’auteur allemand Franz Alt à la suite de ceux du théologien et spécialiste de l’araméen allemand Günther Schwarz. Franz Alt met en lumière comment des traductions erronées de nombreuses paroles de Jésus en ont complètement détourné le sens.

5 Ce sont d’ailleurs les quatre types de reliance visées par le projet du collectif Cimes et Racines, qui prépare la mise en place d’un centre de la transition intérieure à Clerlande (Ottignies), aux côtés du monastère bénédictin. Je fais personnellement partie de ce collectif et y apporte d’ailleurs les pratiques araméennes.

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